Né à Port-au-Prince, Jean Emmanuel Léon, 45 ans, réside au Québec depuis 2007. Préposé aux renseignements à la CNESST, il est membre du conseil d’administration de l’AQANU, coordonnant le comité de communications. À l’AQANU-Montréal, il est l’adjoint de la responsable Danielle Marcotte.
Son engagement fait suite, pour ainsi dire, au vœu de Viola Touchette dont il salue la mémoire. Il avait eu la chance de s’entretenir avec elle peu de temps avant sa mort. Elle lui avait confié son rêve de voir des Haïtiens s’engager activement au sein de l’AQANU.
Jean Emmanuel Léon livre ici le fruit de ses actions et réflexions.
Mon engagement n’est pas le fruit du hasard
Robert Baden Powell protestant et fondateur du scoutisme a écrit que «la meilleure manière d’atteindre le bonheur est de le donner aux autres». J’ai grandi dans un environnement familial où on y croyait fortement. D’abord, mon feu grand-père paternel qui fut médecin des Forces armées d’Haïti, consacra la fin de sa carrière à soigner des paysans de plusieurs petites localités éloignées des villes urbaines sans infrastructures sanitaires. Quant à mon père, il fut surveillé comme communiste sous le gouvernement de Baby Doc, pour avoir fondé une école classique dans un quartier bourgeois, à cette époque, afin de permettre à des enfants défavorisés d’avoir accès à une éducation de qualité.
Quand mes parents m’ont encouragé à intégrer le scoutisme, ce n’était qu’une suite logique qui s’est imposée à moi et qui va changer ma vie. Au début, faire des bonnes actions n’était qu’une obligation, un rituel pour atteindre des échelons ou pour mériter l’estime ou la reconnaissance des autres avec le temps, je les ai conçues comme une manière de vivre la bonne nouvelle les uns avec les autres.
Après mes études universitaires en Administration des affaires, j’ai intégré une filiale d’une institution financière spécialisée dans l’octroi des crédits au secteur des micros et petites entreprises haïtiennes communément appelé Microcrédit. À cette époque, en pleine expansion, cette manière de concevoir le développement économique était promue comme une panacée.
Comment j’ai connu l’AQANU
Certes, je reconnais les bons coups de la microfinance en général, mes ses dérives commerciales ne tardaient pas à me pousser vers le secteur des ONG de microfinance qui avaient beaucoup de faiblesses organisationnelles, financières pour la plupart et surtout un manque de personnel compétent. J’étais surtout attiré par la rentabilité sociale des bénéficiaires que par la rentabilité économique de l’institution pour laquelle je travaillais. Cette détermination m’a permis d’occuper un poste de gestionnaire de projets dans une ONG et l’un des projets était de l’AQANU.
J’ai beaucoup appris de mes précédentes expériences en matière de savoir-être ou de compétences relationnelles. À mes yeux, c’est la dimension la plus importante. On peut avoir toutes les connaissances du monde et toutes les habilités requises, un CV bien garni, si on n’a pas l’humilité pour savoir être, on peut échouer facilement. Finalement, c’est ce qui fait la différence et c’est ce que les gens gardent en mémoire.
Pour entamer ce nouveau défi avec cette ONG, qui était à mes yeux importants, il fallait que j’apprenne à canaliser toutes mes énergies et trouver un fil directeur pour orienter mes actions sur le terrain. Quoique j’ai longtemps travaillé au service à la clientèle, j’avais conçu cette nouvelle expérience comme quelque chose de différent. Et le fil conducteur qui m’a été donné par un mentor de ma famille était cette citation dont j’ignore l’auteur :
«Va à ton peuple
Aime-le,
Apprends de lui
Construis-le à partir de ce qu’il est
Instruis-le à partir de ce qu’il a»
Ce que j’ai gardé de cette expérience
Cette expérience était courte, mais très riche en enseignement. La réalité dans laquelle évoluaient les ONG m’avait sauté aux yeux. J’ai décidé de souligner les points d’ombres, car elles vont m’éclairer par la suite. Cette ONG était financée par une agence américaine qui malheureusement, avait laissé prendre place toute une culture de gaspillage, de charité, d’assistanat et d’une gestion malsaine des projets qui n’a pas été sans effet sur le projet de l’AQANU. Même si je n’adhérais pas au côté recherche du profit du secteur privé. Néanmoins, j’adhère fortement la bonne gouvernance et surtout à la conciliation de l’économique et du social, au renforcement des capacités afin de parvenir à l’autonomisation des bénéficiaires.
Ma rencontre avec L’AQANU dans l’Outaouais en juillet 2006 avait changé mes perceptions et ce n’était qu’un début.
J’ai découvert que les donateurs du projet de banque de communautaire gérée sous ma supervision étaient des élèves d’une école secondaire, de simples citoyens qui expriment leur amour et leur générosité envers le peuple haïtien ou envers leurs compatriotes. Mais surtout, leur engagement bénévole qui m’avait bouleversé. Tandis que le bénévolat a toujours été partie intégrante de ma vie. Il m’était difficile de comprendre comment des gens qui ne vivent pas en Haïti pouvaient se donner autant. J’ai été curieux de savoir ce qui explique cet engagement, ce don de soi, au-delà de l’attachement à des souvenirs d’un pays qui semble ne plus exister. Qu’est-ce qui explique cet espoir que nous sommes une goutte d’eau nécessaire à la mer malgré tout ce qui se passe en Haïti?
Cette rencontre a, pendant longtemps, laissé en moi un sentiment d’impuissance, me disant que j’étais arrivé trop tard pour changer les choses; je vivais un sentiment d’échec. J’ai fait des tentatives ça n’avait pas fonctionné et j’avais quitté l’ONG avec l’idée que le problème du développement se situe du côté des bénéficiaires.
Autre changement de perceptions
Quand j’ai décidé de vivre au Québec, pour avant tout poursuivre des études supérieures en gestion et développement durable. J’avais en tête de faire carrière dans les secteurs des OCI. Même si j’avais gardé les liens avec l’AQANU, j’ai été très impliqué comme bénévoles et coopérant volontaires de plusieurs grandes OCI. Ma vie était bâtie sur le réseautage dans ce milieu et je me nourrissais des débats thématiques et de toutes les initiatives et manifestations reliées à la coopération internationale. Cependant, quelques années après le tremblement de terre, l’invasion des OCI, l’incapacité des ONG à se concerter pour mieux intervenir, et surtout l’incapacité d’organisme régulateur ou de conseils à instaurer un milieu juste et équitable pour le bon fonctionnement des petites OCI m’ont poussé à changer d’orientation pour ma carrière. J’avoue que face au dysfonctionnement du secteur des OCI, la politique de Stephen Harper en matière de développement international m’a paru comme un mal nécessaire.
L’AQANU, c’est différent!
Ce que nous croyons être notre faiblesse est pourtant notre force.
Au cours de mon parcours universitaire ici au Québec, j’avais toujours cette question à poser à mes professeurs, qui avaient derrière eux plusieurs décennies d’expériences en coopération internationale dans les OCI dites grandes et qui ont travaillé sur tous les continents : « Après toutes ses années, qu’est-ce qui vous a touché?»
Évidemment, je m’attendais toujours à des projets qui ont réussi pour pouvoir m’en inspirer. La réponse a toujours été la même : je ne crois pas que les projets que j’ai faits étaient pertinents ou efficaces ou existent encore. Ce qui m’a toujours touché ce sont les personnes. Et là, ils se rappellent les noms des locaux, des histoires de vie qui ont changé leur vie. Ils avaient tous des remords même s’ils ont réussi socialement ou économiquement.
Les bénéficiaires ont toujours les mêmes réponses. Ils sont en relation avec des coopérants, des bénévoles. Souvent ils ne connaissent même pas les noms de leurs élus locaux. Et quand ils pensent à nous, ils sourient, ils ont le goût de vivre, car ils espèrent. Ils savent que nous pensons à eux. Ce ne sont pas les débats thématiques, nos connaissances et nos habiletés qui touchent les gens, mais notre cœur et le regard qu’on pose sur eux.
Ce qui m’attache à l’AQANU, ce sont les gens, et derrière chaque personne que j’ai rencontrée depuis le début, il y a quelque chose de merveilleux. Il y a toujours quelque chose à apprendre pour s’améliorer en tant que personne. Il est vrai aujourd’hui qu’on a un grand souci de pérennité et les plus âgés pensent à la relève. On aimerait que des gens de la communauté haïtienne s’engagent. Malheureusement, le temps nous fait la guerre, l’effritement des valeurs, la survie, l’orgueil et l’individualisme à outrance jouent contre nous et contre toutes bonnes choses d’ailleurs.
J’aimerais rassurer les pionniers et ceux qui ont servi à travers toutes les régions, tous ceux et toutes celles qui ont contribué et qui contribuent encore à l’AQANU: parce que vous êtes des personnes merveilleuses, vous avez donné un héritage précieux aux gens qui croient dans les valeurs.
J’ai appris beaucoup de choses à travers vous et grâce à vous : la coopération internationale telle quelle devrait être.
On peut continuer d’espérer.
Jean Emmanuel Léon