Résidant à Ottawa, Gertha et Michel constituent en quelque sorte un «satellite» de l’AQANU-Outaouais, poursuivant inlassablement le même objectif, celui de venir en aide à leur pays d’origine.
Retournons en Haïti et dans le temps pour camper les racines de leur couple et de leur mission.
Souvent, sur ce chemin menant au lycée de Jérémie, Gertha et Michel marchaient ensemble, sous haute surveillance, précise Gertha, expliquant que sa mère, veuve, prenait bien à cœur la sécurité de ses sept enfants.
En 1970, comme bien d’autres étudiants, Michel fuyait la dictature de Papa Doc, s’installant d’abord chez un ami à Montréal pour ensuite se diriger vers Ottawa afin d’y poursuivre ses études. Retraité depuis 16 ans, Michel a enseigné le français langue seconde pendant 30 ans au niveau élémentaire du Carleton Catholic School Board.
Un an plus tard, au milieu des pleurs de sa mère, Gertha a quitté aussi Haïti à la fin de sa 12e année. Sa marraine vivant à Ottawa lui offrait la possibilité de s’y installer et d’occuper un emploi de bonne d’enfants. «J’avais 18 ans.»
Le couple se marie en 1972, la noce étant organisée par des amis à Montréal.
De retour à Ottawa, pendant que Michel étudie puis enseigne, Gertha occupe toutes sortes de métiers, racontant son sinueux parcours, disant qu’il faut parler du «cheminement typique d’une immigrante».
Sans aucune expérience et sans maîtriser un mot d’anglais à son arrivée au Canada, elle a occupé des emplois de préposée de nuit dans un centre d’hébergement et d’aide-cuisinière dans un autre, gardant en tête l’objectif de retourner aux études, rêvant de devenir infirmière.
Sa marraine enseignant au Collège Algonquin, elle s’y inscrit, mais dans un programme de conseillère en déficience mentale.
Elle parvient à concilier famille – le couple a donné naissance à trois filles – travail et études puisqu’elle a obtenu un baccalauréat, puis une maîtrise en travail social et une seconde maîtrise à l’Université d’Ottawa en counselling éducationnel.
Elle a œuvré à la Société de l’aide à l’enfance, à la Ville d’Ottawa, au nouveau conseil scolaire francophone et, enfin, à l’Université du Québec-Outaouais d’où elle a pris sa retraite comme chargée de cours il y a près de 3 ans.
Le séisme de 2010 en Haïti a ébranlé le couple. Il s’y trouvait d’ailleurs, venant tout juste de débarquer à Port-au-Prince. «My God, il y avait des morts partout!», s’exclame Gertha. Bouleversée, elle n’a pas voulu s’attarder en Haïti, contrairement à son mari qui s’est rendu à Corail.
Soucieux du sort des enfants ayant perdu leurs parents, Michel et Gertha ont d’abord entamé des démarches afin que les petits d’âge scolaire puissent se réfugier à l’orphelinat de Jérémie. Tout en continuant de s’occuper de cet orphelinat, le couple a toutefois constaté qu’il valait mieux soutenir les écoliers là où ils se trouvent. «Ils n’étaient pas heureux à l’orphelinat», dit Michel.
Pour y parvenir et à la suite d’une rencontre avec Grégoire Ruel – qui a présidé l’AQANU -, ils ont créé l’Amicale pour le développement de Corail. «Nous voulions venir en aide à Haïti et avions besoin d’une association crédible pour nous guider. Nous apprécions toujours la collaboration de l’AQANU», soutiennent les fondateurs de l’Amicale.
L’action de cette association se décline en de multiples volets, selon les besoins qui se manifestent, Michel se rendant en Haïti au moins deux fois par année.
Une soixantaine d’élèves de Corail profitent de la fourniture d’uniformes et de matériel scolaire lors de la rentrée en septembre. Des médicaments peuvent aussi leur être fournis le cas échéant.
Des cours de couture, d’abord offerts aux femmes célibataires, sont maintenant dispensés à une plus large clientèle. «Ils sont 45 jeunes à être inscrits à cette formation», se réjouit le couple.
Après l’ouragan Matthew en 2016, Michel a cherché et trouvé les matériaux, œuvré au transport du ciment pour la construction de deux citernes d’eau potable.
Avec l’aide d’un ami canadien, l’Amicale a fourni les instruments pour l’enseignement de la musique et la création d’une fanfare, ses membres se produisant lors de célébrations, des réjouissances comme des funérailles. «La fanfare Zachary-Lauzière porte le nom du jeune fils décédé de cet ami canadien qui nous a aidés.»
L’Amicale tire ses revenus de la vente de café, maintenant des masques que confectionne Gertha et d’un annuel brunch-bénéfice, dont la tenue, en novembre, demeure incertaine, pandémie oblige.
Mais c’est aussi directement des poches du couple fondateur que provient l’argent de l’Amicale. «Pour nous, ce n’est vraiment rien», disent-ils.
Michel raconte qu’à Corail, la maison familiale faisait figure de «bureau d’aide sociale». «Mon père avait le monopole des transports. Il était généreux de tout. Les gens venaient pour obtenir de l’aide matérielle et des conseils. Ils s’attendent à ce que moi, j’en fasse autant.»
Le couple ne compte ni son temps, ni ses efforts, seulement ses «bénédictions», conclut Gertha.
Hélène Ruel