La rentrée scolaire! Celle qui se déroulera en Haïti en dira long sur l’état du pays, selon Magalie Georges, directrice de l’École république des États-Unis à Port-au-Prince, accueillant quelque 1500 élèves du préscolaire à la neuvième année. «La rentrée (en septembre) pourra nous aider à faire un état des lieux.»
Les derniers mois auront peut-être clairsemé les rangs des élèves, soit parce qu’ils ont déserté le pays, parce qu’ils se sont déplacés vers des régions moins menacées par les gangs ou encore parce que les vicissitudes du climat sociopolitique les ont carrément découragés de poursuivre leurs études.
«Où sont les enfants? C’est ma grande préoccupation», dit Mme Georges, évoquant toutes les pressions que créent sur le système d’éducation le climat politique et l’omniprésence des gangs criminels. Pour la seule zone comprise entre Carrefour et la Croix-des-Bouquets (une vingtaine de kilomètres séparent les deux communes), trois cents écoles ont fermé leurs portes. L’année scolaire s’écourte, des inégalités se créent, les enseignants fuient le pays, «cela est inquiétant».
«L’école est la première victime des bandits qui se trouvent sur le chemin des enfants, ces bandits qui investissent même leurs établissements», déplore la directrice. Des écoles deviennent aussi le refuge de familles que les bandits menacent dans leur quartier.
Depuis 2006, Magalie Georges dirige non seulement une grande école de Port-au-Prince, mais elle occupe aussi, et depuis 10 ans, les fonctions de secrétaire générale de la Confédération nationale des éducatrices et éducateurs d’Haïti (CNEH).
C’est d’ailleurs à ce titre qu’elle était de passage au Québec au cours du mois de juillet, invitée internationale à prendre la parole au congrès de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ).
La CNEH profitera de la rentrée afin de lancer une campagne, financée par la CSQ, pour le droit à l’éducation, un plaidoyer visant tout à la fois le gouvernement, la population, les parents.
«Il faut rappeler que l’école, c’est pour les enfants!» Les écoles doivent servir à l’enseignement aux enfants, pas de base pour les bandits ou de refuge pour des familles sans logis», explique-t-elle.
La CNEH s’avère la plus ancienne entité syndicale en Haïti, née en 1986, réunissant quelque 13 000 membres. Sa secrétaire générale a été invitée à présenter la situation d’Haïti, du moins ce qui concerne l’état du système d’éducation.
Devant les quelque 1200 congressistes, elle a, entre autres, dénoncé une répartition injuste des budgets que le gouvernement haïtien alloue. Le budget du ministère de l’Éducation ne représente que 25% de l’ensemble du budget de l’État. La gestion est très obscure; de grosses sommes sont octroyées aux rubriques «interventions publiques» et «subventions».
Un projecteur, comme bouclier
Elle estime que le «projecteur» international n’est pas suffisamment braqué sur Haïti. Et que s’il l’était, il servirait de «bouclier» pour la population. «Il faut briser le silence. C’est important pour nous. Pourquoi le projecteur n’est plus braqué sur Haïti? Peut-être parce qu’une certaine fatigue s’est installée au sujet d’Haïti, dont on se dit que ça va de mal en pis. Mais la situation n’est pas uniforme dans l’ensemble du pays. Il y a des régions plus affectées que d’autres.»
La CNEH s’est alliée d’autres syndicats haïtiens pour créer ce qu’on pourrait désigner comme une coalition pour revendiquer le droit à l’éducation auprès du gouvernement. Un cahier de charges a été réalisé par ces syndicats.
Jusqu’ici, comme le gouvernement est pour ainsi dire «en arrêt», les syndicats n’ont obtenu aucun écho à leurs demandes.
La native de Torbeck n’a plus vraiment de parents en Haïti. Même sa fille n’y habite plus.
Elle, elle s’y maintient parce que, professionnellement, elle se sent utile. «Je me sens utile, surtout pour les enfants.»
Les jeunes ont besoin d’une lueur, qu’ils s’accrochent à quelque chose, explique-t-elle. «Ce qui arrive actuellement, c’est qu’on est en train de tuer l’espoir. Je ne dirais pas qu’est perdue l’actuelle jeune génération. Mais le chaos creuse les inégalités. Je comprends que des jeunes abandonnent leurs études ou veuillent quitter le pays.»
Les jeunes de familles plus aisées ont la possibilité de poursuivre leurs études, dans des écoles équipées, ayant accès à l’électricité, à l’internet et avec un corps professoral formé, précise-t-elle. «Mais ils ne représentent qu’une minorité. On dit qu’à peu près 10% de la population détient le gros de la richesse nationale. Il n’y a pas de partage, pas d’investissement pour créer des emplois. Beaucoup d’argent s’en va à l’étranger.»
Magalie Georges voit cependant poindre quelques lueurs.
Elle parle d’initiatives comme celles de Cap-Haïtien, communauté en train de se créer une identité, investissant, oui par la force collective, dans l’immobilier, l’hôtellerie, le divertissement. De telles initiatives pourraient faire boule de neige, si l’on peut accoler cette métaphore au chaud climat d’Haïti.
Invitée à dire quelques mots sur l’AQANU, elle dit que ses interventions sont importantes, parce qu’elles vont à la base et qu’elles ont un impact dans le milieu. Elle connaît les manières de faire de l’AQANU puisque dans sa région natale cette dernière avait financé un projet d’adduction d’eau potable mené à la suite d’une épidémie de typhoïde. Il s’agissait d’un des premiers projets soutenus par l’AQANU… dans les années 1970.
«L’État ne s’occupe pas des paysans. D’ailleurs, les gens ne sont pas sa priorité. Et c’est justement parce que ce n’est pas sa priorité qu’on en est arrivé là!», conclut Magalie Georges.
Après quelques jours au Québec, elle s’embarquait pour Buenos Aires afin de participer au 10e congrès mondial de l’Internationale de l’Éducation, autre occasion pour elle d’attirer l’attention sur son pays.
Hélène Ruel