Parti en juin 2020 afin d’occuper la fonction de coordonnateur de programmes pour le ministère haïtien de l’Économie et des Finances, Louis Jocelyn est revenu au Québec un an et demi plus tard, particulièrement bouleversé par son séjour et par l’état de son pays d’origine.

Louis Jocelyn fait partie de l’AQANU-Outaouais dont il est le secrétaire. Il siège également au conseil d’administration de l’AQANU nationale. (Photo gracieuseté)
Étant installé au Québec depuis six ans, formé et possédant de l’expérience en administration, en comptabilité et en gestion de projets, Louis Jocelyn avait accepté de retourner en Haïti pour ce poste financé par la Banque interaméricaine de développement.
«J’ai voulu donner un coup de pouce», dit-il, ajoutant qu’Haïti doit fréquemment faire appel à la diaspora, le pays ne disposant pas suffisamment de ressources en ses murs pour assumer ce genre de responsabilités.
Il s’agissait pour lui de travailler à un projet visant à améliorer l’électrification du pays, en déployant une cinquantaine de mini-réseaux partant d’une nouvelle centrale solaire à Caracol.
À ce jour, vu le climat social et politique du pays, le projet accuse un retard de deux ans, les firmes internationales hésitant à soumettre des offres, souligne Louis.
La pire expérience en Haïti
Il a mis fin à son travail à l’automne 2021, vaincu par le stress quotidien que créent les kidnappings. «C’est la pire expérience que j’ai vécue en Haïti!», déplore-t-il. Tant et tant que lorsqu’on lui demande aujourd’hui s’il accepterait d’y retourner, il répond que cela nécessiterait une grande réflexion.
Il explique que ces kidnappings au jour le jour créent un perpétuel sentiment de terreur. «On ne sait jamais si on pourra sortir du bureau, si on pourra rentrer à la maison. On ne sait jamais quelles seront les personnes ciblées. Et les rançons demandées sont énormes!»
L’entretien avec Louis Jocelyn se déroule au lendemain de la publication d’articles sur cette hypothèse selon laquelle le président haïtien (assassiné en juillet dernier) aurait été victime des narcotrafiquants et le jour même de l’explosion d’un camion-citerne à Cap-Haïtien ayant tué plus de 70 personnes.
De l’insécurité… et de la méfiance
«Ce que j’ai vu dans le pays? De l’insécurité. De l’insécurité économique, civile, alimentaire, publique, sanitaire. La population n’a plus confiance en l’État qui a perdu toute autorité.»
La méfiance constitue un sentiment généralisé en Haïti. Et encore maintenant par rapport à la COVID-19. La population a du mal à croire à la pandémie, observe Louis. «La vaccination n’intéresse pas la population qui associe la pandémie à de la propagande politique. Les gens ne portent pas de masque, ne pratiquent pas la distanciation. On peut comprendre qu’ils ne croient pas en une pandémie ne pouvant voir ceux qui sont infectés ou qui en meurent. Ce n’est pas comme au Canada où on dénombre les cas et les morts.»
Pour son premier mois en Haïti, parce qu’il ne savait trop comment se comporter et devant la méfiance qu’on lui manifestait (après tout, il était redevenu un «étranger» dans son pays), le coordonnateur a télétravaillé. «Je ne suis allé au bureau qu’à partir d’août 2020.»
Il a pu, à quelques reprises, l’occasion d’aller retrouver ses parents, sa joie enfantine, traversant Martissant, ce fameux quartier périlleux de Port-au-Prince. «Je n’ai jamais eu de problèmes à traverser cette zone. Généralement,
le chef des groupes armés en annonce la fermeture.»
Depuis qu’il est installé au Québec, Louis Jocelyn bénévole pour l’AQANU-Outaouais, en est le secrétaire et fait partie du conseil d’administration de l’AQANU au plan national. En six ans, il a réalisé quelques missions de suivi des projets de l’AQANU.
Lors de son récent séjour, bien des catastrophes se sont abattues sur son pays natal, comme l’assassinat du président et le séisme du 14 août dernier dans le sud.
«Quand donc viendra l’homme?»
Pour illustrer ce qu’il espère, il cite les mots de ce poète haïtien (Duraciné Vaval) appris à l’école classique : «Une heure doit sonner/Un homme doit venir/L’heure sonne déjà;/Mais quand donc viendra l’homme?»
Louis Jocelyn dit que jusqu’à maintenant les hommes ayant pris la barre d’Haïti n’avaient pas à coeur l’intérêt commun. «Il faudra un leader, du genre révolutionnaire, un bras de fer, capable de dire «non» à ce qui n’est pas dans l’intérêt de la population haïtienne.»
Il se désole d’avoir constaté à quel point la corruption ronge «jusqu’aux os» l’administration publique, le privé jouant d’influence et de menaces pour réclamer faveurs et privilèges. Lui-même a subi ce genre de pressions.
Une dignité à retrouver
Il espère que soit relevé le niveau d’éducation, que la population se mobilise. «Actuellement, chaque Haïtien s’attend à ce que la diaspora le fasse manger tous les jours. «La dignité, c’est être capable de se donner soi-même à manger.»
Et c’est dans cet esprit que, faute de pouvoir continuer d’occuper son emploi en Haïti, il travaille, d’ici avec une équipe de là-bas, à un projet-pilote visant à créer une microentreprise de transformation d’huile de maskriti (huile de ricin noir) en biodiesel. «On commence la production artisanale et on croit pouvoir la commercialiser en avril prochain.»
Il existe toutes sortes de façons pour Louis Jocelyn de donner un coup de pouce à Haïti. Comme plusieurs de ses compatriotes, il s’y affaire depuis qu’il en est parti.
Hélène Ruel