La façon de “redonner” de Richardson Eugène

Né à Hinche en Haïti, Richardson Eugène vit et travaille au Québec depuis 2009. Agronome résidant à Victoriaville, il a accepté de joindre à nouveau le conseil d’administration de l’AQANU afin de s’engager, entre autres, au comité de projets. «C’est la seule façon pour moi de redonner, parce qu’en Haïti ça va pas ben!», lâche-t-il.

Du comité AQANU-Bois-Francs, Richardson Eugène fait partie du conseil d’administration de l’AQANU. (Photo : Hélène Ruel)

Pour mettre en contexte l’engagement de Richardson à «redonner» nous incite à camper les étapes de son parcours l’ayant mené de sa campagne haïtienne, à Cuba, puis en Espagne et enfin au Canada.

Il rit – et Richardson rit souvent – lorsqu’on lui demande ce qu’il comptait faire de sa vie lorsqu’il était enfant. La question ne se posait pas en Haïti, le métier de conseiller en orientation n’existant pas. «En Haïti, on ne peut pas dire comme au Québec qu’on a toujours le choix!»

«Avais-je le talent ou le profil pour des carrières comme le génie ou l’agronomie?» Devait-il se destiner, comme son père, à une carrière militaire? Ces questions, il les a posées… en son for intérieur.

L’attrait de l’ailleurs

Richardson entretenait toutefois un rêve, celui d’aller étudier à l’étranger. Il se sentait attiré par l’«ailleurs».

Et c’est d’abord à Cuba, grâce à l’octroi d’une bourse d’études de la CRESFED qu’il a pu se lancer dans des études universitaires en agronomie, ayant achevé une première année universitaire en géologie à l’École de géologie appliquée d’Haïti.

Pourquoi l’agronomie? Parce qu’il y avait des possibilités d’emploi en Haïti, répond Richardson, pragmatique.

Il faut imaginer les six années (de 1998 à 2004) qu’il a passées à Cuba, étudiant la botanique, la biologie, la chimie, la physique… en espagnol. «J’avais une base», rappelle-t-il.

Tout au long de ses études universitaires, Richardson revient en Haïti pour ses vacances, enseignant l’espagnol à Port-au-Prince. Il décroche aussi un contrat comme conseiller au ministère haïtien de l’Agriculture. L’insécurité gagnant la capitale, il retourne dans son patelin, à Hinche et y enseigne l’espagnol.

Sa feuille de route, bien qu’impressionnante – il finit troisième de sa promotion – ne lui permet pas de décrocher des emplois qui le comblent. «Je ne me sentais plus à ma place.»

Au moment où il devait commencer à travailler pour Helvetas, un cyclone balayait ses aspirations, l’organisation de développement suisse devant concentrer ses efforts à venir en aide aux sinistrés.

L’«attrait de l’ailleurs» clignote toujours dans l’horizon de Richardson. «J’avais l’impression que je ne faisais que des jobines. Je voulais me former davantage. J’avais la piqûre de l’environnement. J’avais envisagé d’aller étudier en agroforesterie à l’Université Laval, mais il n’y avait plus de bourses.»

Il s’inscrit à la maîtrise en aménagement du territoire à Huelva en Espagne et, de retour en Haïti après quatre mois de cours intensifs, il apprend que l’Agence espagnole de coopération internationale et du développement l’a sélectionné pour l’octroi d’une bourse. Celle-ci lui permettra, d’août 2006 à avril 2009, de se doter d’une maîtrise en aménagement du territoire et d’un diplôme d’études avancées en environnement et développement durable.

Ses deux années de frustrations en Haïti et son esprit d’aventure lui font par la suite lorgner le Canada comme destination. Pour vivre en français et parce que, davantage qu’en Haïti, il devrait y avoir du travail pour lui. «J’étais prêt à faire n’importe quoi!», se souvient-il. Et c’est un peu ce qui l’attendait, pour quelques années du moins. Question de se bâtir un capital de «confiance».

Vaillance et persévérance

Il réorganise son curriculum vitae selon la «méthode québécoise», réside chez une famille haïtienne à Montréal, s’inscrit à Carrefour Blé… et accepte les boulots qui s’offrent à lui, même vendre des cartes de crédit ou travailler comme ouvrier agricole.

L’Ordre des agronomes l’admet dans ses rangs en 2010 et le gouvernement canadien lui octroie sa citoyenneté quatre ans plus tard.

À partir de 2010, il travaille comme conseiller en agroenvironnement à Saint-Hyacinthe et à Laurierville avant de s’établir à Victoriaville en 2012, oeuvrant à la Coop des Bois-Francs. Depuis novembre 2019, il occupe le poste de chef de produits des cultures céréalières et fourragères chez William Houde.

C’est à Victoriaville, dans le tout petit restaurant haïtien (malheureusement fermé) de Kettly Emmanuel (elle-même d’origine haïtienne) que Ricardo Dorcal et Réginald Sorel, deux membres de l’AQANU repèrent… et recrutent Richardson.

Il accepte de se joindre au comité AQANU-Bois-Francs. «Si des Québécois s’impliquent en Haïti, s’est-il dit, il me fallait le faire aussi, en tant que personne d’origine haïtienne.»

Ayant une «certaine connaissance du terrain», comme il le dit modestement, des amis et des contacts en Haïti, il adhère à l’AQANU pour son côté social, une façon d’accentuer son intégration au Québec. «Et en région, peu d’organisations s’impliquent en Haïti comme l’AQANU.»

Il comprend que des Québécois d’origine haïtienne ne s’intéressent plus à Haïti, entretiennent d’ailleurs de la méfiance à l’égard de leur pays d’origine. L’engagement pour la cause haïtienne doit venir du cœur, poursuit-il. Richardson Eugène a choisi de participer, de loin, au développement du pays de ses racines.

Hélène Ruel

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