Marie Nikette Lorméus : douleur et espérance

 

Lors de sa dernière mission en Haïti en 2018, Marie Nikette réalise une entrevue avec une étudiante en agriculture dans la région des Cayes. (Photo gracieuseté)

 

Ce portrait de Marie Nikette Lorméus pourrait s’amorcer par le même angle que par celui de son mari, Witchner Orméus, publié dans le Cyber-bulletin d’août dernier.
En juillet, Haïti était atterré par l’assassinat de son président. En août, un séisme – de la même amplitude que celui de 2010 – a fait plus de 2000 morts, blessé et déraciné des milliers de personnes dans le sud-ouest du pays.
On ne peut donc faire autrement que de s’entretenir d’abord de la triste
actualité haïtienne.
«On vit la peur au ventre», s’exclame, d’emblée, Marie Nikette. Née à Port-au-Prince, elle connaît très bien la région affligée par le séisme, sa mère étant originaire de L’Asile (Lazil en créole) et où résident encore quelques-uns de ses parents.

Marie Nikette travaille à la Maison des jeunes de Rivière-des-Prairies.
(Photo gracieuseté)

Depuis le 14 août, jour du séisme, Marie Nikette a fébrilement reçu et pris des nouvelles de ses proches toujours en Haïti, particulièrement de son parrain, échangeant messages, textos, vidéos. Un sentiment d’impuissance la tenaille. Celle qu’elle a toujours considérée comme sa soeur et qui réside à Gros Marin lui a dit être sous le choc après avoir vu des gens «rouler» par terre au marché.
Heureusement parmi les siens, personne n’est mort ou n’a été blessé par ce séisme. Mais tous sont ébranlés. Et le traumatisme est d’autant plus grand qu’ils ont aussi survécu au séisme de janvier 2010.
En 2010, ce parrain dont Marie Nikette parle avec tant d’affection avait perdu neuf des siens, dont son épouse et son frère. Elle se revoit dans le
stationnement de l’édifice où elle travaillait à l’époque. Elle ne comprenait pas trop ce qu’elle était en train de vivre, voyant des gens courir dans les rues, certains ensanglantés, s’étonnant des fumées s’élevant dans le ciel.
Elle avait regagné son domicile. La maison n’avait pas disparu, mais le couple avait dormi dehors pendant tout un mois tellement l’insécurité était grande.
Des responsabilités à prendre
Le séisme du 14 août, l’assassinat du président Jovenel Moïse font dire à Marie Nikette qu’Haïti a «vraiment touché le fond». «Le pays est en décrépitude. Ce qui est arrivé n’a rien d’un hasard. On a voté pour des gens peu recommandables, qui ne méritaient pas de se retrouver au timon des affaires. Veut-on que ça recommence?»
Elle prend le parti des jeunes Haïtiens «qui ont envie de vivre et qui ont leurs potentialités». «Ils ne peuvent intégrer un centre de formation. Il faut prendre conscience qu’on ne fait que leur donner des armes et une petite bouteille plate (de l’alcool). Qu’est-ce qu’on prépare comme avenir?», se demande celle qui, depuis octobre dernier, est chargée de projet à la Maison des jeunes de Rivière-des-Prairies.

Le séisme a fait des dégâts dans la zone de Sénéac où habitent des proches de Marie Nikette. (Photo gracieuseté)

Elle poursuit en disant que le «sauvetage d’Haïti ne viendra que lorsque
chaque Haïtien choisira de «faire ce qui est bien, suivra la bonne voie». «Il ne faut pas toujours compter sur l’extérieur. On a des mesures et des responsabilités à prendre.»
La dernière fois que Marie Nikette a séjourné en Haïti, c’était en 2018 sous les auspices de la Fondation Paul-Gérin-Lajoie.
Un curriculum bien garni
Benjamine d’une famille de neuf enfants, Marie Nikette Lorméus a émigré au Québec en 2017 avec son mari et leur fils aujourd’hui âgé de 9 ans.
Ce projet de quitter Haïti pour s’installer au Canada la taraudait depuis plus de cinq ans. Le processus a été long et laborieux. «J’avais un bon job, mais j’avais le feeling que les choses n’allaient pas.»
Elle se souvient de tous ses épisodes de stress, d’anxiété, d’insomnie que provoquaient les frappes de groupes paramilitaires, elle qui a toujours vécu à Port-au-Prince.
En s’installant au Québec, Marie Nikette a tiré un trait sur sa longue et fructueuse carrière en Haïti.
Elle se remémore avec plaisir ses années d’études chez les Filles de Sainte-Marie, la joie de tenir un des rôles principaux dans une pièce de théâtre où elle était la seule élève pas encore en terminale, son plaisir de jouer au volleyball, son enthousiasme à faire partie du mouvement eucharistique des jeunes, sa vie de scoute et de cheftaine.
Inscrite à la faculté de droit, elle y a étudié pendant deux ans tout en travaillant dans une institution financière coopérative. Un examen disparu de la disquette sur laquelle elle avait enregistré son devoir a mis un terme ses études de droit.
Marie Nikette se souvient de tous les projets qui l’habitaient à l’époque. Son occupation à la coop financière la faisait rêver d’une carrière dans une grande banque. Voyant passer des véhicules de l’UNICEF, elle aspirait d’y oeuvrer.
Elle s’est engagée chez Info-femmes, un organisme haïtien de défense des droits des femmes, doté d’un centre de documentation. Là, elle a travaillé comme recherchiste, rédactrice d’un bimensuel et animatrice de l’émission «La voix des femmes». Elle y a tenu le micro jusqu’en 2009.
Oui, malgré tout ce que l’étiquette peut «charrier» comme images, Marie Nikette qualifie de «féministe» son engagement. Elle a d’ailleurs créé la Fondation Toya afin, explique-t-elle, de mettre les filles et les femmes de l’avant, de stimuler leur potentiel, de favoriser leur leadership. Elle en est l’actuelle présidente. «L’histoire des femmes a été occultée», déplore-t-elle.
Le nom de la Fondation, «Toya» (le sobriquet de Victoria Montou) réfère à une héroïne de la liberté haïtienne.
Comme son époux Witchner, Marie Nikette détient un long curriculum tant à la rubrique des études qu’à celle des expériences professionnelles.
Sous la rubrique de la formation, sa feuille de route commence par un diplôme de conseiller principal de jeunesse et d’animation et d’une licence en relations internationales qu’elle a pu décrocher grâce à une bourse lui permettant d’étudier au Bénin pendant cinq ans. Se sont succédé des formations en résolution pacifique de conflits, en genre et développement ainsi qu’en population et développement. Elle détient également une maîtrise en politique de l’enfance et de la jeunesse. Encore récemment, à l’Université du Québec à Montréal, elle se perfectionnait en évaluation de programme projets et services.
Couplées à ses formations, ses expériences de travail lui ont permis d’élargir son champ de compétences.
Après avoir travaillé quelque temps au ministère haïtien de la Jeunesse et des Loisirs, elle a occupé diverses fonctions au Fonds des Nations Unies pour la population (FNUPA). De 2005 à 2010, elle a, entre autres, été chargée du programme pour la santé sexuelle et reproductive des jeunes. Pour le FNUPA, elle a oeuvré à une formation aux droits de la personne pour les policiers haïtiens. «À l’Académie de police, on expliquait comment, par exemple, recevoir les plaintes de femmes victimes de violence.»
Le séisme l’a propulsée vers des fonctions d’analyse, de coordination et de suivi de projets pour le Fonds d’urgence d’OCHA-Haïti (Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations Unies.
L’UNICEF avait appuyé son projet de former une équipe de jeunes aptes à repérer les signes de malnutrition chez les 0-5 ans vivant dans des abris de fortune à Port-au-Prince, ces jeunes pouvant alors dispenser des suppléments alimentaires.
Avant d’émigrer à Montréal, elle a travaillé au PNUD-Haïti (Programme des Nations Unies pour le développement) en tant que coordonnatrice nationale de la participation des femmes et des jeunes, après avoir assumé, notamment, la responsabilité de coordonner et gérer les enquêtes de Registre unique de bénéficiaires.
«Il faut avoir les nerfs solides»
Lorsqu’elle confiait à ses proches son désir de quitter Haïti, on lui disait qu’elle avait beaucoup à perdre, qu’elle devrait tout recommencer.
Ils n’avaient pas tort, reconnaît-elle aujourd’hui. Pour émigrer, il faut avoir
les nerfs solides. En quatre ans, elle n’a pas retrouvé le statut et les ressources dont elle disposait en Haïti. «Je ne peux plus, comme auparavant, venir en aide à mon frère, mes neveux et mes cousins.»
Si elle ne peut soutenir financièrement ses proches en Haïti, elle reste solidaire d’AQANU-Montréal. Michèle Douyon, Haïtienne d’origine, membre de l’AQANU, l’avait invitée, elle et son mari, à participer à l’annuel quillethon, celui de 2017.
Pour Marie Nikette, l’AQANU est un peu comme une «mère», le «premier endroit qui m’a accueillie, qui nous invite à donner ce que nous sommes, un espace où on peut apporter notre grain de sel».
De l’AQANU à laquelle elle a adhéré, Marie Nikette siège maintenant au titre de secrétaire au conseil d’administration de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI).
Elle sait de quoi elle parle lorsqu’il est question de l’aide que l’on peut apporter à Haïti à la suite du séisme du 14 août.

Toujours dans la zone de Sénéac (Photo gracieuseté)

«Si on veut être significatifs, il faut soutenir des organismes qui étaient déjà
présents en Haïti avant le séisme et qui ont des effets concrets et réels sur le terrain.»
Après le séisme de janvier 2010, beaucoup d’organismes «venus de nulle part», n’ayant aucun bureau local, sont nés… et disparus tout aussi spontanément, déplore-t-elle.
Hélène Ruel

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