En Haïti, la peur s’est installée

Ce texte d’hélène Ruel est tiré du Cyber-Bulletin 9.9 de l’AQANU

Au Nord comme au Sud, ces semaines-ci, un même ennemi, le coronavirus, frappe aux portes. Mais toutes les portes n’affichent pas la même résistance. En Haïti, elles sont parfois bien fragiles, lorsqu’elles ne sont pas toutes grandes ouvertes.

Lency Paul enseigne le français, l’anglais et l’espagnol dans des écoles publiques et privées d’Haïti. (Photo gracieuseté)

 Deux jours après la fermeture de tous les établissements scolaires décrétée par le gouvernement haïtien (le vendredi 20 mars), le professeur Lency Paul acceptait de faire part de la situation dans son pays.

Né à Port-au-Prince, résidant à Pétion-Ville, Lency Paul enseigne les langues dans des écoles secondaires, publiques et privées. Il a aussi été secrétaire à la formation professionnelle à la CNEH (Confédération nationale des enseignants d’Haïti (2014-2017). C’est cette fonction qui lui a fait connaître la mission de l’AQANU, ainsi que l’ex-président Réginald Sorel avec qui il a travaillé et est demeuré en contact.

L’enseignant raconte que l’annonce de l’état d’urgence décrétant notamment la fermeture des établissements scolaires n’a pas été entendue immédiatement dans les zones rurales, là où la population vit sans électricité. «Dans les campagnes, beaucoup de gens n’étaient pas au courant et les écoliers se sont butés à des portes closes.»

L’enseignant soutient que si certaines consignes sanitaires sont respectées, elles ne pourront l’être entièrement et par l’ensemble de la population. Il est possible pour les gens aisés de se confiner, disposant de ressources pour vivre et d’argent en banque, note-t-il.

Ce qui n’est pas le cas de beaucoup d’Haïtiens qui vivent au jour le jour. Le confinement n’est pas possible, selon lui, pour les petits marchands entre autres qui ont besoin de «prendre les rues». «C’est une question de survie!» Le commerce fonctionne d’ailleurs toujours.

Et la distanciation sociale recommandée demeure aussi une consigne difficile à respecter lorsque, par exemple, on voyage à bord d’un tap-tap, fait remarquer Lency.

Comme ailleurs dans le monde, certains se sentent à l’abri de contracter l’infection. «Les Noirs seraient plus résistants, la chaleur tuerait le virus, le citron et le gingembre «boosteraient» le système immunitaire. On entend ce genre de commentaires.»

L’interdiction de rassemblement de plus de 10 personnes a vite été respectée par l’Église catholique qui a suspendu ses célébrations liturgiques, soutient Lency. «L’Église catholique est plus organisée que d’autres.» Ailleurs, la police a dû intervenir pour interrompre une cérémonie.

La peur du virus s’est installée en Haïti, dit encore Lency. Même les «bandits» ont peur, ajoute-t-il. Ce qui ne les a pas empêchés de kidnapper un médecin, cofondateur de l’un des plus importants hôpitaux d’Haïti, le Bernard Mevs, comme le titrait le réputé journal haïtien Le Nouvelliste à sa une du 28 mars. L’enlèvement du médecin a entraîné la fermeture de l’établissement qui préparait «la riposte au coronavirus».

La très grande fragilité du système de santé haïtien inquiète Lency. «On est sur le qui-vive. On se croise les doigts.»

Cette pandémie est une «catastrophe mondiale, poursuit-il. «C’est triste et choquant de voir tant de gens mourir. Peu importe sa nationalité, on se sent dans la même barque, tous débordés, espérant un médicament. Même les systèmes de santé les plus performants sont débordés. Si beaucoup de gens étaient infectés en Haïti, le pays ne pourrait, tout seul, gérer la crise et soigner les patients; il nous faudrait solliciter l’aide internationale.»

La compassion et la solidarité se manifestent. Heureusement, conclut Lency Paul.

Du côté de Rivière-Froide en Haïti, le technicien agricole Jean Baptiste Jean Plésir, partenaire de l’AQANU a rassuré les gens de l’association en écrivant que sa communauté était en parfaite santé, malgré l’isolement.

Hélène Ruel

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