Magique, l’enseignement à distance… surtout en Haïti!

Texte tiré du Cyber-bulletin 13.7 de mars 2023

Imaginez le contexte. Deux formateurs du Bénin en Afrique enseignent à distance à des profs haïtiens comment introduire le numérique dans les cours que ces derniers dispensent à l’École de formation professionnelle Mark Gallagher (ÉFPMG) de Rivière-Froide en Haïti. Le tout par le biais de la Boîte à innovations créée par un Québécois basé à Montréal, la formation étant soutenue par les 10 000 $ d’AQANU-Outaouais. «La magie de la technologie!», résume Dieuvenel Philone, un des enseignants haïtiens inscrits à la formation.

Dans la classe de l’enseignant Thomas Sanon qui montre à ses étudiants de l’ÉFPMAG la façon de se servir de leur téléphone intelligent pour s’inscrire dans la classe virtuelle et accéder aux modules de formation de la BAI. (Photo Thomas Sanon)

Ainsi, tous les samedis en matinée, depuis novembre et jusqu’au début de mars, une vingtaine d’enseignants de l’ÉFPMG de Rivière-Froide en Haïti participent à cette formation.

En Haïti, il n’y a pas que la pandémie pour inciter les profs à souhaiter proposer leurs cours à distance. La pénurie d’essence, les transports devenus périlleux en raison de l’omniprésence de criminels sur les routes constituent d’autres excellentes raisons pour favoriser l’enseignement virtuel.

Responsable du projet, Marie Lissa Guérin, secrétaire du conseil d’administration de l’AQANU, explique que la formation TIC-BAI (Technologies de l’information et des communications et BAI pour Boîte à innovations) est offerte cette année à titre expérimental. «Pour cette année d’expérimentation, on a visé les formateurs du programme d’agriculture de l’École», précise-t-elle.

Ouverte en 2014, cet établissement reste cher à l’AQANU qui en a piloté la construction grâce à des subventions du gouvernement canadien, du gouvernement du Nouveau-Brunswick et des dons des Amis de Mark Gallagher. Il est tenu par les Petites sœurs de Sainte-Thérèse (PSST).

Si l’expérience de l’enseignement à distance s’avérait concluante, elle pourrait s’élargir à d’autres programmes de formation de l’ÉFPMG, même à d’autres établissements des PSST, une trentaine d’écoles primaires et secondaires à travers le pays.

Des formateurs enthousiastes

Cinq des formateurs de l’École de formation professionnelle Mark Gallagher. De gauche à droite : Romain Jean-Louis, Bernite Saintus, Robenson Louis, Justin Repnior et Thomas Sanon. (Photo gracieuseté)

Quatre des profs haïtiens inscrits à la formation ont témoigné de leur expérience, dont trois lors d’un échange par Zoom.

Par Zoom, Dieuvenel Philone, Magloire Desira, Thomas Sanon et, par courriel, Robenson Louis, ont tous, chacun dans ses mots, manifesté leur enthousiasme pour cette formation. Ils s’y sont inscrits afin d’enrichir leurs connaissances et compétences et ainsi améliorer leur enseignement auprès de leurs étudiants.

«Travailler à distance diminue les risques», dit Dieuvenel Philone, enseignant de l’EFPMG depuis 2015, en sylviculture, utilisation des sols, météorologie.

Réaliser des vidéos, les partager, créer une classe virtuelle, favoriser le réseautage, joindre les élèves là où ils se trouvent, contribuent à enrichir son enseignement. Il loue particulièrement le souci que le concepteur de la Boîte à innovations, Tony Simard, a de rendre accessible sa plateforme. «Pas besoin d’être un intellectuel pour l’utiliser.»

Magloire Desira (Photo gracieuseté)

N’en pense pas moins Magloire Desira qui, depuis trois ans, enseigne la botanique, la biologie animale, l’écologie et la zoologie à l’École. Il aime cette formation qui l’initie à un nouveau vocabulaire, à recourir à des mots-clés, lesquels permettent aux élèves d’accéder aux champs de connaissances même s’ils ne maîtrisent pas suffisamment d’habiletés en lecture.

Aussi agronome de formation, Thomas Sanon enseigne l’horticulture et la préservation des sols depuis près de 6 ans à l’École. Il occupe aussi la fonction de chef des travaux, travaillant en collaboration avec la directrice soeur Eugénie Jeudy. Il s’assure de la bonne marche de l’établissement, gérant les relations entre la direction, les formateurs et les étudiants, organisant les locaux, gérant le matériel, coordonnant les activités pédagogiques et les examens.

Autre photo de la classe de Thomas Sanon (Photo Thomas Sanon)

L’enseignement à distance est bénéfique à plus d’un point de vue, exprime-t-il. «Il est important de se former. Et ce moyen permet aux apprenants de poursuivre leurs études.» Le recours à la plateforme numérique évite d’interrompre leur formation, les écoles ayant dû fermer à plusieurs reprises en Haïti au cours des dernières années.

Enseignant depuis 25 ans, dont les sept dernières à l’ÉFPMG dans les classes de français comme langue seconde et les sciences sociales dans d’autres écoles de la région, Robenson Louis serait prêt à faire la promotion de l’enseignement numérique, une «valeur ajoutée à la manière d’enseigner».

«(…) c’est extrêmement important et à la fois extraordinaire ce qu’on peut faire à partir du numérique en terme de formation compte tenu du nombre de gens que l’on peut atteindre, il y a presque aucune limite, les barrières sont presque toutes tombées, les gens les plus éloignés des grandes villes même dans les pays les plus en retard en ce qui concerne l’utilisation de l’internet peuvent embrasser le pas. Les gens dans les montagnes ou dans les sections rurales d’Haïti vont pouvoir non seulement acquérir un métier mais aussi améliorer la qualité de leur récolte, leur façon de faire, améliorer la culture des champs. Un métier sera offert à tout un chacun selon le bon désir de l’intéressé, avec le numérique l’analphabétisme n’est plus une barrière à l’apprentissage d’un métier, cela va révolutionner l’enseignement professionnel», écrit-il.

Il ajoute que la Boîte à innovations révolutionne la façon d’enseigner, en démontrant que par la technologie profs et étudiants peuvent «travailler beaucoup mieux ensemble, aller beaucoup plus vite». La plateforme accessible et compréhensible simplifie aussi le travail des professeurs. Plus encore «on peut partager certaines leçons et bonnes pratiques avec d’autres qui sont sur la plateforme, mais à des millions de kilomètres, les limites ne s’imposent plus, on apprend de l’autre, l’autre apprend de soi et ceci en temps réel».

Un plaidoyer

«Il y aura un travail de plaidoyer à mener», dit Dieuvenel Philone, faisant allusion à certaines embûches de l’enseignement à distance.

Si les étudiants peuvent utiliser leur «smartphone» et WhatsApp – habitude très répandue en Haïti même dans les milieux ruraux – reste que l’Internet et l’électricité sont défaillants dans le pays. «On voit parfois les formateurs se déplacer pour chercher une connexion pendant leurs cours», reconnaît Marie Lissa Guérin.

Dieuvenel Philone demeure toutefois confiant, disant que des cours numériques peuvent motiver les élèves à poursuivre leur formation, malgré les sporadiques fermetures d’écoles.

Quelques mots sur la BAI

Joint par téléphone à Montréal où il se trouve actuellement, Tony Simard, a conçu sa Boîte à innovations en 2010.

C’est la première fois que sa plateforme éducative sert en Haïti, utilisée jusqu’à maintenant dans huit pays d’Afrique là où M. Simard a vécu pendant 45 ans.

Sociologue de formation, il détient une maîtrise en gestion de projets et vient d’entreprendre un programme court de deuxième cycle en intégration numérique dans les milieux scolaires. Il s’affaire actuellement à un projet soutenu par la Banque mondiale au Sénégal.

Le numérique induit un nouveau rapport au savoir, dit M. Simard, «une façon d’assurer une continuité pédagogique» là où, comme en Haïti et dans d’autres pays, la formation est compliquée par l’éloignement des écoles, les problèmes sociopolitiques, etc.

Deux aspects caractérisent sa Boîte. Le contenu peut se décliner en 21 langues actuellement, M. Simard visant à y introduire aussi le créole. Plus encore, même une personne analphabète pourrait utiliser l’outil afin de se former à un métier tout en apprenant à lire.

Hélène Ruel

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