Ce texte est tiré du Cyber-bulletin 10.5 de l’AQANU
«Pour être épanoui, il faut s’engager.» À 81 ans, Andrée Fortin continue de tenir compte de ce conseil prodigué, et incarné pourrait-on dire, par ses parents il y a longtemps, au temps de sa jeunesse à Senneterre.
Toujours active à l’AQANU-Montréal, avec son amie Jeannine Paré, et à partir de son appartement au bord de la Richelieu, Andrée Fortin s’affaire au Club des 100.
«J’aime éperdument l’AQANU», dit-elle, y étant associée depuis plus de trente ans, depuis ce jour (en 1987) où avec sa fille adolescente désireuse d’aller en «mission», elle s’était rendue dans la localité de Torbeck en Haïti pour un stage organisé par l’AQANU.
On pourrait dire que les élans missionnaires de sa fille avaient sonné des cloches à Andrée Fortin.
Il y aurait tout un ouvrage à écrire sur le parcours si singulier de cette dame, aînée de 13 enfants, issue d’une famille de bâtisseurs, ayant toujours su tirer quelque enseignement de ses multiples expériences, spirituelles, professionnelles, sociales et personnelles.
Au rétroviseur, elle en revoit les différentes étapes de sa vie. Et au terme de chacune, que cette étape ait été heureuse ou laborieuse, elle lui inspire toujours la même conclusion. «J’ai été privilégiée!»
Privilégiée d’abord d’avoir grandi entre un père et une mère provenant de milieux différents. Son père areligieux issu d’une famille instruite et sa mère fort pieuse originaire d’une famille de bûcherons l’auront vite confrontée à la différence.
«Pour eux, l’engagement social allait de soi. J’ai adoré mon enfance. Mes parents s’aimaient. Et comme j’étais l’aînée de la famille, j’ai grandi avec des bébés dans les bras; j’ai adoré cela.»
Malgré l’attachement qu’elle vouait à sa famille, Andrée Fortin a choisi de quitter Senneterre. «Mes parents auraient aimé que je fasse l’école normale. J’avais plutôt le goût de l’aventure et j’étais attirée par les valeurs d’austérité, d’égalité et de démocratie des missionnaires du Saint-Esprit.»
Son «don de soi» allait ainsi se concrétiser au sein d’une congrégation religieuse. «J’avais fait ce choix dès l’âge de 15 ans.»
Elle dit de ses dix années sous le voile qu’elles ont illuminé sa vie. Et cela en dépit de toutes les frustrations, déceptions et tensions qui ont ponctué sa mission. «Ma vie religieuse a été un enrichissement exceptionnel.»
Pendant son noviciat à Paris, elle a fréquenté deux «saints», un père aumônier qui l’a encouragée à lire l’histoire de l’Église et lui a fait apprendre le chant grégorien ainsi qu’une supérieure bretonne. Tous deux auront su étancher sa soif d’apprendre.
Elle a aussi vécu au Cameroun où elle a dirigé un jardin d’enfants de 400 élèves et travaillé à ébranler les colonnes du missionnariat tel qu’il se pratiquait alors. «Ce n’était pas autre chose que du néocolonialisme!»
Il lui a fallu du temps et de l’énergie pour convaincre sa communauté de permettre que Noirs et Blancs fréquentent les mêmes espaces et de réduire les prix du jardin d’enfants pour accueillir les plus pauvres, se souvient-elle.
Elle se souvient aussi des cours sur l’économie qu’elle offrait le soir à l’université, n’hésitant jamais, en passant, à s’attarder dans le quartier des prostituées afin de jaser avec elles. L’ex-religieuse se souvient aussi des cours de préparation au mariage qu’elle offrait aux Camerounaises. «On avait déjà l’esprit féministe!»
Ses incessantes confrontations avec une supérieure ont fini par la miner, elle d’un naturel fantasque et plus encline au «contre-témoignage».
«Je venais de prononcer mes voeux perpétuels, ce que j’avais fait de bonne foi. Mais j’étais malheureuse. Je rencontrais un prêtre confesseur pendant quelques minutes tous les jours, ayant l’impression d’avoir constamment des bâtons dans les roues, de me buter à des portes irrémédiablement fermées. Au bout de six mois, il a fini par me dire que le Québec avait besoin de femmes comme moi.» Ce commentaire allait ouvrir ce qu’elle appelle son «chemin de Damase».
Dix minutes pour clore dix ans
En dix minutes, soeur Fortin décidait de mettre un terme à ses dix ans de vie religieuse… et à sa foi.
C’était le 6 janvier 1967. Il lui a fallu attendre jusqu’à Pâques, jusqu’à l’autorisation du pape, pour quitter la congrégation et rentrer au pays, à Senneterre, en passant par Montréal par un magasin de vêtements pour se constituer une garde-robe. «Tout ce que je possédais, c’était une bible. Même nos vêtements ne nous appartenaient pas. Mes parents, étant plus aisés, avaient dépensé 7000 $ pour m’habiller; ma mère ne voulait pas que je sois moins chic que mes neuf soeurs!»
Pendant six mois, elle a habité sous le toit de ses parents, ayant trouvé un emploi dans une école secondaire par l’entremise d’une cousine qui y travaillait.
Si ses parents étaient heureux de la revoir après tant d’années, Andrée Fortin a finalement réalisé que son choix avait profondément déçu sa mère.
Elle quitte le toit familial pour s’établir à Boucherville, devenant enseignante à la maternelle.
Un chapelet d’engagements
Dès lors, son parcours pourrait se comparer à un chapelet d’engagements.
Contente de voir que «son» Québec a changé, elle milite pour le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), et, plus tard, pour le Parti québécois.
Elle pour qui le plus grand sacrifice avait été de ne pas pouvoir avoir des enfants, en a finalement eu deux d’un homme avec qui elle a cohabité pendant neuf ans. «Mais parce qu’il était un divorcé notoire, j’ai perdu mon emploi à la commission scolaire.»
Résidant à Saint-Hilaire, elle décide d’ouvrir un jardin d’enfants, qu’elle
maintient durant quinze ans jusqu’à ce que, ironie du sort, la même commission scolaire qui l’avait congédiée la recrute pour enseigner… la morale.
«Ça a été la chance de ma vie! Avec une collègue, j’ai été invitée par un fonctionnaire du ministère à examiner le programme de morale. C’était un véritable fourre-tout.»
De Saint-Hilaire à Saint-Mathias-sur-le-Richelieu, en passant par Saint-Lambert, Beloeil, Montréal, Andrée Fortin s’active.
Du côté d’Amnistie internationale, elle n’hésite pas à accueillir des réfugiés, dont une Tunisienne d’origine… qui a fini par devenir sa belle-fille.
En amour avec l’AQANU et les Haïtiens
Son premier séjour en Haïti en 1987 a failli virer au cauchemar. À Torbeck où elle se trouvait, elle chute d’une hauteur de 15 pieds, le plancher s’étant effondré sous elle. Ayant décidé de la guérir, un «ramancheur» haïtien la traite. «Ce «rolfing» a été une expérience douloureuse, mais au bout d’une semaine, j’étais sur pied. Tous les matins, les gens du village s’installaient sous le perron et me transmettaient leur énergie.»
Cette aventure a été déterminante. «Je suis tombée en amour avec l’AQANU et avec les Haïtiens.»
Dès lors, elle a elle-même accompagné des groupes de stagiaires en Haïti. Elle a participé à deux missions, l’une avec Michelle Gobeil et une autre avec Huguette Turcotte.
De découvrir l’existence des enfants «reste-avec» (Restavek) a été le choc de
sa vie. Ces enfants sont prêtés par leurs parents comme domestiques, non rémunérés, pour des familles plus aisées.
Membre de l’AQANU dont elle a été une administratrice pendant quelques années, d’Amnistie internationale. Andrée Fortin a également fait partie de la Table de concertation pour Haïti, du Regroupement des organismes canado-haïtiens pour le développement et de l’Association québécoise des organismes de solidarité internationale.
Avec Ana Maria D’Urbano (avec qui elle avait travaillé à la Marche du pain et des roses), elle a fondé le Comité d’éducation au développement international (CEDI). L’organisme se destinait à offrir une formation aux futurs stagiaires en Haïti. «On souhaitait aussi aller dans les régions pour soutenir des organisations.» Elle tient à rappeler ces fins de semaine de sensibilisation qu’elle organisait pour les jeunes avec son amie Lise Laramée.
Andrée Fortin dit avoir beaucoup pleuré lorsque l’assemblée générale de l’AQANU a mis fin au CEDI au terme de quelques années. «Mais je suis revenue à l’AQANU.»
Elle avait aussi contribué, avec Jeannine Paré, une «autre fille d’Abitibi», amie de longue date, à implanter l’AQANU sur la Rive-Sud.
La grand-maman de quatre enfants soutient que l’AQANU a bien évolué. «Un organisme bénévole, j’admire cela. J’y suis très bien. L’Association a su offrir des programmes adaptés à la réalité du pays.» Andrée Fortin dit que l’AQANU a surtout compris que l’ouverture au monde n’avait rien à voir avec la velléité d’y faire le père Noël.
Hélène Ruel